Chronique des Parresien·ne·s au procès des attentats de Bruxelles

Des heures et des heures à errer dans les couloirs du Justicia. Ces derniers mois, plusieurs membres de l'association des @ambassadeurs.officiel ont suivi le procès des attentats de Bruxelles.⚖️ Jihaan, FZ, Nordin et Ilyas nous offrent leurs regards croisés sur la vie au sein de la cour d'assise de l'histoire belge dans une chronique rédigée à la première personne.👀

5 avril 2023 :

j’ai l’opportunité d’assister à une demi-journée au procès des attentats de Bruxelles. Curiosité, étrange fascination et sentiment de braver l’interdit m’habitent lorsque j’embarque dans cette escapade avec une dizaine d’Ambassadeur·ice·s d’expression citoyenne. Après avoir traversé la capitale pour rejoindre le site de la cour d’assise, je fais face à une première surprise : le procès de l’histoire belge a lieu dans un… désert. Coupé du monde, le complexe aménagé par le Justicia sur le plateau de l’OTAN ressemble plus à une forteresse sur laquelle veillent des dizaines de policiers armés jusqu’au dent qu’à un temple de la justice. Mais pourquoi le procès n’a-t-il pas lieu au Palais de justice ?

Avec l’équipe, j’arrive en face du premier point de contrôle. Une amie qui a l’habitude d’assister aux séances du procès depuis son début nous y accueille. Elle nous conseille de nous séparer en plusieurs petits groupes et de rester discret·ète·s. « Évitez de circuler en nombres, de parler trop fort et de laisser paraitre des sourires, ou pire des rires ». Un premier contrôle, un deuxième puis un troisième. Je comprends bien la nécessité d’une sécurité renforcée. Après tout, les attentats ont marqué un réel tournant à ce niveau-là. Bizarrement, le ton de chacun d’entre eux est tout à fait cordial. Les agent·e·s de sécurité sont pour la plupart très agréables. Comparés aux contrôles souvent lugubres des aéroports, je passe presque un bon moment à discuter avec elleux en retirant ma ceinture, ma montre et autres objets métalliques le temps du passage sous le détecteur. Juste avant d’entrer dans le couloir principal, les téléphones des membres du public sont confisqués. Dommage, j’aurais bien aimé effectuer quelques recherches en suivant les débats. Bref, en moins de 10 minutes, je me retrouve en face de la salle principale. Contrairement à ce que je pensais au vu des déboires en début de procès, je dois dire que l’organisation pour y accéder est très bonne : sûre, fluide et agréable.

Enfin, c’est sans mentionner ce contrôle supplémentaire « de routine » que nous avons subis sans raison apparente ni le moment où une greffière passe à côte de mon groupe d’ami·e·s et nous demande sans crier gare si nous sommes bien les proches des accusés, ni encore lorsque plusieurs policier·ère·s me demandent à maintes reprise la raison pour laquelle je suis là. Euh ? J’hésite entre une réponse laconique pour leur signaler que j’ai le droit d’assister à un moment historique dans la justice de mon pays ou une vraie justification. J’opte pour la deuxième option cette fois : « Je suis membre d’une association nommée « Les Ambassadeurs d’Expression Citoyenne ». Dans le cadre d’un dossier médiatique sur lequel nous travaillons au sujet du procès, je viens assister aux audiences ». Je me dis que j’aurais juste dû ****répondre : « Je suis intéressé en tant que citoyen belge ». Malgré ces quelques incidents malheureusement trop habituels, je suis agréablement surpris par la gestion de cet évènement majeur.

Enfin soit, je passe le pas de la salle principale pour la première fois. Je me retrouve dans un théâtre. Le décor et l’agencement de la salle ont tout d’une mise en scène : le box des accusés défendus par leurs avocats à leurs devants, le jury populaire chargé de rendre justice en face, les parties civiles de l’autre côté faisant face à la Présidente et ses consoeurs et confrères. Et ****nous, le public un peu en retrait mais bénéficiant d’une place de choix avec une excellente vue sur tous les acteur·ice·s du procès. Il y a si peu de monde, moi qui pensait que les places seraient chères… Comment l’expliquer ? Les médias auraient-ils pu plus en parler ? Tout à coup, une sirène retentit. À partir de là, les moments forts s’enchaînent. Les accusés entrent menottés, en fil indienne, dans le box suivi de près par une dizaine de policiers en civil, armés et cagoulés. Je suis parcouru par une sueur froide.

Ces gens existent.Tous ces noms que j’entends dans les journaux du monde entier depuis 7 ans appartiennent à des humains qui me ressemblent. La parole est donnée aux accusés.

« Pouvez-vous vous présenter et me donner une qualité et un défaut que vous portez ? »

Je crois rêver. Je m’attendais à une ambiance insoutenable où aucun sourire ne pouvait s’échapper. Les actes atroces ayant été commis ne pouvaient selon moi laisser place à de la légèreté. Et pourtant… À l’image d’un·e chef·fe d’orchestre exceptionnelle, la Présidente joue une partition ferme mais laissant la place aux notes de bonne humeur. J’assiste même à quelques rires. Je me demande si c’est une bonne chose. Je ne sais pas vraiment. En tout cas, j’apprécie beaucoup l’accessibilité des débats. Le langage d’initié se fait rare, la majorité des discussions sont très claires et compréhensibles pour des personnes sans grandes notions de droit.

Nouvelle claque. Tour à tour, les accusés se présentent. Ces monstres dépeints dans les médias paraissent d’une banalité déconcertante. Les prises de paroles sont pour la plupart posées et assez réfléchies. Je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire triste lorsque j’entends l’accent bruxellois marqué de certains d’entre eux. Comme quand des messages vocaux la veille des attentats d’un des accusés sont diffusés. « Afou », « enroule », « mzi »… Ce langage, c’est le mien aussi. L’argot bruxellois que l’on partage me pousse à réfléchir aux trajectoires de vies de ces personnes.

On est né·e·s au même endroit, on a grandi au même endroit, on a étudié au même endroit, on a été au sport aux mêmes endroits, comment a-t-on malgré tout pu prendre des routes si différentes ? En les écoutant, je ne peux m’empêcher de ressentir de la peine pour les accusés. Je m’en veux. Cette peine s’atténue dans la foulée lorsque je la mets en perspective avec les victimes que j’observe et écoute attentivement. Je suis noyé dans un torrent d’émotions contradictoires. L’audience du jour prend fin.

Avant de quitter la salle, nous sommes invité·e·s à consulter une série de pièces à conviction liées aux attentats de Bruxelles. On me l’avait dit avant d’entrer mais je n’y croyais pas… J’ai vraiment été surpris par la volonté des acteur·ice·s du procès d’ouvrir ce monde parfois obscur de la justice au plus grand nombre pour cette occasion particulière. Je ne me sens néanmoins pas super à l’aise. L’impression d’être dans un film d’horreur. Mais c’est bien réel et 35 personnes ne sont plus des nôtres… Sur le chemin vers la sortie, je suis amené à discuter avec plusieurs figures du procès : le dessinateur judiciaire, une avocate stagiaire et le porte-parole du procès. Encore une fois, j’ai l’impression que ces audiences sont une sorte de vitrine de notre justice. Dans les couloirs, je suis marqué par le fait que tout le monde se mélange. Dans la cafétéria, avocat·e·s de la défense, des parties civiles, policiers chargés du transfert des accusés, accusés comparaissant libres, proches de victimes et public se côtoient sans le moindre problème. Je n’oublierai d’ailleurs jamais ce jour où Smail Farissi m’adresse un clin d’oeil la première fois où il voit mon groupe d’ami·e·s et moi entrer dans cette salle. Comme ravi de voir des jeunes, issu·e·s de la diversité, s’intéresser à ce procès.

En attendant le tram pour rentrer chez nous, toujours le même rituel : un peu comme à la sortie d’une interro, on se raconte toutes et tous la manière dont on a vécu les débats du jours. J’entends un ami surpris de la mise en égalité de tous les accusés. Comment peuvent se retrouver dans le même box des personnes convaincues par la nécessité de commettre des attentats en Occident et d’autres qui ont offert un toit à des connaissances ? Dans le groupe, tout le monde n’est pas d’accord… « Ils méritent tous d’être là, tu les mettrais où sinon ? » Les débats de la cour se poursuivent dans le tram 62. J’entends parler de la rencontre que certain·e·s ont fait avec un citoyen retraité qui n’a pas manqué un seul jour du procès ou encore de ce moment d’audience qui nous a toustes interpellés : lorsque la présidente insiste, sur base de conversations WhatsApp, au sujet de la connaissance d’un certain « Amine » par un accusé et que celui-ci se rend compte qu’il ne s’agit en fait que de l’équivalent d’ « Amen », une formule religieuse extrêmement répandue ponctuant les prières et qui signifie le fait de demander d’être exaucé·e. Quand la Présidente interroge alors l’accusé sur la signification de ce mot, il se retourne vers ses compagnons de box l’air hagard pour tenter d’avoir de l’aide. Cette scène grotesque en dit tellement sur la justice et sur les terroristes : comment n’a-t-on pas demandé à un·e traducteur·ice de passer en revue ces messages ? Comment une personne prétendant commettre des atrocités au nom d’une religion ne peut-elle pas connaître la signification d’une de ses formules les plus utilisées ? C’est sur l’analyse de cette séquence loufoque que nous nous quittons. Avant d’y retourner très vite pour la plupart, nous reprenons chacun·e le cours de nos trajectoires de vie…

Jihaan, FZ, Nordin et Ilyas

Ilyas Boukria
26/9/2023

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