DÉCRET PAYSAGE : Le taux de réussite gonfle mais à quel prix ?

Le Décret Paysage Glatigny a fait grimper les taux de réussite dans l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles, mais cette hausse s’accompagne de fortes critiques. Le texte impose des délais stricts pour valider les crédits et obtenir un diplôme, ce qui accroît le stress et la précarité des étudiant•e•s. Certain•e•s enseignant•e•s aussi s'offusquent de l'injustice et de l'inhumanité de la réforme. Iels admettent une tolérance accrue lors des délibérations pour éviter les exclusions.

Plus d’étudiant·e·s valident leur année académique grâce au Décret décrié. Ce progrès n’est passans conséquences, inattendues ou néfastes.

Pari réussi pour Glatigny !

Lundi, la ministre-présidente Élisabeth Degryse (Engagés) livrait, suite à laCommission du parlement, des chiffres encourageants concernant le taux de réussite des étudiants à l’université en Fédération Wallonie-Bruxelles. Une progression qui coïncide avec l’entrée en vigueur du "Décret Paysage Glatigny".

En première année de bachelier (toutes filières confondues), le taux de réussite est passé de 50,56% pour l’année académique 2021-2022 à 55,84% pour 2024-2025. Sur la même période, pour les deuxième et troisième années de bachelier, ce chiffre passe de 73,77% à 85,04%. Quant aux masters, le seuil de réussite était de 81,74%en 2021-2022 pour 84,80% en 2024-2025.

Le «Décret Paysage Glatigny » fait référence aux réformes apportées en 2021 au Décret Paysage de l'enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles par la Ministre francophone de l’Education et de l’enseignement de promotion sociale, Valérie Glatigny.

Pour lutter contre le rallongement des études, augmenter le nombre de diplômés et garantir une meilleure finançabilité, les étudiant·e·s n’ont pas plus de deux ans pour réussir les 60 crédits de leur première année et ont maximum cinq ans (six en cas de réorientation) pour obtenir leur diplôme de bachelier.

Après trois inscriptions sans bloc 1 validé, l’étudiant n’est plus finançable. Anticiper certains cours du bloc 2 n’est envisageable que si au moins 45 crédits du bloc précédent sont acquis, avec l’accord du jury.

Plus de droit à l’erreur

Valentine et Lola sont toutes les deux âgées de vingt ans et en BA1 pour la deuxième fois, elles suivent des études de langues et lettres à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).

Pour elles, le Décret met en péril les étudiants les plus précaires surtout avec le prix du minerval qui passe de 835 à 1200 euros par an, à la rentrée 2026.

Elles pensent que parfois, les étudiant·e·s ont besoin de plus de temps pour y arriver, personne n’est à l’abri d’une année plus compliquée, sur le plan psychologique par exemple. Ce n’est ni par fénéantise ni pas plaisir qu’ils étalentleurs années. Révoltée, Valentine parle de ses parents qui sont d’accord avec le Décret.

« Ils considèrent que l’université, c’est pas fait pour tout le monde ».

Lola poursuit après un rictus « c’est super élitiste, les gens incapables de faire l’université ce serait les pauvres ? ».

Valentine lui répond que ses parents ne sont mêmes pas riches mais ils croient en la méritocratie.

Elle soupire : « la société ne veut même plus qu’on étudie ».

Au-delà de la précarité et de la rupture générationnelle, elles mentionnent le stress en abondance.

« On n’a pas encore été touchées niveau finançabilité mais ce qui nous impacte c’est toute la pression que ça nous met (…) On est stressé, on n’a moins le temps, le choix. Si on rate encore une fois, on sait que c’est mort ».

Valentine se souvient de son eczéma en période de blocus, admet fumer beaucoup plus et se surprend à se mordiller l’intérieur de la bouche.

« Ils nous pissent dessus sans même essayer de nous faire croire qu’il pleut »

s’exclame Valentine.

Selon l’apprentie philologue, ce Décret concerne et touche les étudiants mais n’aide pas du tout les étudiants.

Un cas de Haute École ?

Jean-François Raskin est professeur à l’Institut des Hautes Études des Communications Sociales (IHECS),il remarque une tolérance accrue du jury dans l’évaluation des critères de réussites comme conséquence du Décret.

Certain·e·s étudiant·e·s qui, auparavant, auraient échoué, ont ainsi pu être repêché·e·s grâce aux décisions des jurys de délibération.

La réforme a engendré des situations pour le moins ubuesques — un étudiant ayant réussi pouvait néanmoins être considéré comme non finançable — et, dans certains cas, d’une inhumanité et d’une injustice insupportables.

Les enseignants et les directions ont pleinement intégré ces dimensions dans leurs décisions finales, l’exigence à la baisse au nom de la finançabilité et in fine, une hausse de réussites.

Youssra Ben Mehdi
6/11/2025

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