“J’ai toujours grandi avec le mot Palestine”

Il y a des images qui marquent plus que d’autres, surtout quand on est une enfant de 8 ans. Les images percutent et s’imprègnent dans les récits; elles façonnent notre vision du monde.

Nous sommes le 30 septembre 2000 et Ines voit ce petit garçon, Mohammed al-Durah, mourir dans les bras de son père sous les yeux du monde. Vingt-cinq ans plus tard, la colonisation, l’oppression et la violence des Israéliens envers la population palestinienne s’est encore endurcie, amplifiée. Vingt-cinq ans plus tard, Youssra et Ines s’apprêtent à monter sur scène pour témoigner de la vie en Cisjordanie, après un voyage en territoire occupé.

Amâna : une création citoyenne

Ines et Youssra font partie de la dizaine de jeunes qui foulera les planches du Varia dans deux semaines. Elles participeront à la première partie d’Amâna, avant de laisser la place aux danseur·euse·s de la compagnie Alrowwad. Ensemble, lors d’une interview croisée, elles reviennent sur leurs premiers souvenirs liés à la Palestine. Sur les premières évocations d’un État qui, pour elles, a toujours existé en faisant la une des journaux.

Photo prise lors d’une des répétitions de Amâna ©Vivien Ghiron

La famille, les copain·e·s… et Al Jazeera

Quand on est issu·e du monde arabe, la Palestine est un sujet presque spontané, connu de toustes. “J’ai toujours grandi avec le mot Palestine dans la bouche de quelqu’un. Ça a toujours fait partie du paysage. J’étais consciente de la colonisation. Mais par contre, je pense que je n’ai mis des mots sur la situation que bien plus tard”, explique Ines.

Youssra évoque le jour où, pour la première fois, elle aperçoit “un vrai keffieh”. Elle est en 4ème primaire et un camarade de classe, un certain Mehdi, semble bien renseigné sur l’apartheid qui sévit en Palestine. “Il nous parle de cette écharpe, symbole de solidarité ou de résistance, mais aussi de produits à boycotter.” Ça interpelle l’enfant qu’elle est alors : elle tente de comprendre comment -et pourquoi- notre consommation impacte des gens à des milliers de kilomètres.

À la maison, chez chacune d’elles, Al Jazeera en fond sonore. La chaine d’information tourne en boucle sur cette guerre au Moyen-Orient et elle entraine parfois des discussions familiales. Chez Youssra, on reste brefs. Chez Ines, les conversations sont plus vives. “Je me rappelle de questionner mon père, notamment après avoir vu les images de la mort en direct de Mohammed al-Durah. J’ai gardé en tête le débat qui s’en est suivi : on a accusé le journaliste Charles Enderlin de montage vidéo, de mensonge, d’antisémitisme. Mon père à moi, il était défaitiste, il me disait que la Palestine pouvait déjà être heureuse de ne pas avoir perdu plus de terrain suite au plan de partage.

Une partie des membres de la troupe Alrowwad, du Camp de Aïda (Bethléem)

"Prêter mon corps à la cause, c’est minime"

Toutes deux ont choisi de manière volontaire et bénévole de participer à la création artistique. Celle-ci se veut être le récit d’un voyage qui a eu lieu en mai 2023, en Cisjordanie. Ines est allée sur place, Youssra en nourrit l’envie. Chacune s’estime reconnaissante de pouvoir faire partie du projet et de prendre la parole sur scène. D’au moins prêter son corps à la cause palestinienne. Pour elles deux, le choix était évident.

C’était pas prévu que je rejoigne Les Ambassadeurs dans ce projet, mais ces derniers temps j’ai constaté que quand c’est difficile de dire oui, c’est que c’est non, et là, c’était un oui facile”, précise Youssra. Ines embraye sur ce qui l’anime dans ce spectacle : “J’aime l’idée du partage des mots, et du partage en choeur. Je réfléchis pas à la difficulté, à la fatigue, je suis juste contente de pouvoir contribuer au projet.” L’idée d’une dramaturgie en choeur est symbolique, tant pour l’une que pour l’autre. “On porte un propos ensemble, qui résonne plus fort, qui résonne plus loin. Quand on est ensemble, on se sent protégé·e. Comme en manif.

©Vivien Ghiron
Laurianne Systermans
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