"Ma fille est à l'ULB !"

"Félicitations. Et elle fait quoi?"

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Le silence qui suit raconte toute l'ambiguïté du rapport de ma mère aux études.

Choisis l'école, choisis l'option... mais avance! Apprends autant que tu le pourras! Apprends pour toi et surtout pour moi!

Pour ma mère et pour contredire Baudelaire, qu'importe le contenu tant qu'il y a un banc d'étudiant sous mes fesses.

Miser sur la réussite de ses enfants comme un placement bancaire.

À ce jeu, la plus forte c'est ma mère !

Ma mère est à la fois un modèle unique du genre et l'expression d'une génération d'immigré.e.s.

Aînée d'une famille démunie, elle devra quitter trop rapidement l'école pour assurer un revenu supplémentaire à ses parents. Dès 11 ans, elle fera les ménages dans de tapageuses villas de Marrakech. Elle en garde un goût de revanche, persuadée que la réussite se compte au nombre de choses que l'on possède autant qu'à celles que l'on sait. Matérialisant les deux, le diplôme devient le Saint-Graal: la floche du carrousel du quartier.

Chacun de nos diplômes fut le sien. L'objectif n'a jamais été de les accrocher au mur de l'entrée, mais de les savoir acquis. Ils sont emballés dans du papier kraft, lui-même emballé dans une farde imperméable, le tout à l'abri des regards, caché dans un coffre à la banque avec ses autres butins de guerre accumulés.

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Ma mère, elle sait ce que c'est d'apprendre à tout prix: une boulimie de connaissance impossible à rassasier.

Devant la bêtise masculine, elle a pris pour amant "Arte".

Elle se lève et s'endort devant.

À table, essayant de s'imposer dans les débats enflammés de la fratrie, elle commence inlassablement toutes ses phrases par "j'ai vu un documentaire... (la suite vous la devinez) ...sur Arte !" C'est comme si ce petit mot de cinq lettres lui garantissait toute la légitimé du propos à venir.

Mais la vie est traître et offre des noeuds d'émotions indigestes..Je pense à ce moment étrange et douloureux où tu comprends que tu en sais plus que tes parents, qu'ils en sont fiers, mais qu'ils savent que leur place sera maintenant derrière, que c'est vers d'autres référents que tu chercheras l'information.

Cette "appétance", j'en ai hérité. Chaque seconde sans apprendre est une seconde vaine. Bouffer des pages noircies par des gens plus intelligents, lire l'actualité comme si le "Grand oral" allait arriver, tester sa mémoire comme on fait la vidange de sa caisse.

Quand on a connu l'ignorance, on la fuit toute sa vie.

Enfant d'immigré.e, enfant d'illettré.e, on combat le sentiment poisseux d'imposture...On passe son temps à boucher des fissures.

Apprendre pour se justifier.

Apprendre pour dire "moi je suis intégrée".

Apprendre pour savoir quoi dire dans les conversations de celleux pour qui tout fut plus facile.

Survivaliste du savoir,

emmaganiser le plus possible.

Le tri se fera pus tard, au risque de tout mélanger.

Emmagasiner avant la nuit noire.

Apprendre à tout prix !

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